Likoutei Amarim Chapitre 10 _______________
Après avoir décrit, dans le précédent chapitre, le combat incessant qui oppose les deux âmes du juif, l’âme divine et l’âme animale, pour gouverner le corps, Rabbi Chnéour Zalman va définir le tsaddik (le « juste ») comme celui qui s’est défait de son âme animale et a transformé le mal qu’elle renfermait en bien. Le niveau de tsaddik comprend deux catégories générales. Le « tsaddik accompli », également appelé « le tsaddik qui (ne) connaît (que) le bien », est un homme qui a transformé le mal de son âme animale en bien ; celui qui n’est pas encore parvenu à effacer et à transformer le mal qui est en lui est qualifié de « tsaddik inaccompli » et de « tsaddik qui connaît le mal » (c’est-à-dire en lequel demeure un résidu de mal). La différence entre les deux types de qualificatifs – « tsaddik accompli » et « inaccompli » d’une part, et « tsaddik qui connaît seulement le bien » et « qui connaît le mal » d’autre part – est la suivante : la première paire de descriptifs fait référence au niveau d’amour que le tsaddik a pour D.ieu ; c’est cet amour qui lui vaut le titre de « tsaddik ». Chez le « tsaddik accompli », cet amour est entier, tandis qu’il ne l’est pas chez le « tsaddik inaccompli ». Le deuxième jeu de termes fait référence à la transformation du mal de l’âme animale en bien ; celui dont le mal a été totalement transformé en bien est appelé « tsaddik qui (ne) connaît (que) le bien », alors que celui en qui subsiste un résidu de mal est appelé « tsaddik qui connaît le mal ». Il faut ici fortement souligner le fait que le « mal » évoqué dans ce contexte fait référence à ce qui n’est qu’un imperceptible résidu qui réside dans le cœur et non à un mal véritable s’exprimant en pensée, en parole, ou en action.
פרק י
והנה כשהאדם מגביר נפשו האלקית
Or, quand l’homme fait prévaloir son âme divine sur son âme animale,
ונלחם כל כך עם הבהמית עד שמגרש ומבער הרע שבה מחלל השמאלי
et lutte contre son âme animale au point de chasser et d’annihiler le mal qui est en elle de sa demeure en lui, c’est-à-dire de la partie gauche [du cœur],
כמו שכתוב ובערת הרע מקרבך
ainsi qu’il est dit : « et tu supprimeras le mal de ton sein » (verset par lequel la Thora enjoint à chaque juif d’éradiquer le mal qui est en lui).
C’est-à-dire qu’il ne s’agit pas simplement de bannir l’expression extérieure et concrète du mal – les mauvaises pensées, paroles, et actions – mais aussi le mal lui-même, au point de ne plus y trouver aucun attrait.
ואין הרע נהפך לטוב ממש
Quand un homme parvient à cette fin, sans que le mal ait été changé en bien, (et preuve en est que sa force de désir aurait autrement été orientée uniquement vers le bien et la sainteté, ce qui n’est pas encore le cas, comme va le montrer la suite de ce chapitre,)
נקרא צדיק שאינו גמור
il est appelé « tsaddik inaccompli »,
וצדיק ורע לו דהיינו שיש בו עדיין מעט מזער רע בחלל השמאלי
et « tsaddik qui connaît le mal », ce qui signifie qu’il y a encore en lui un tout petit peu de mal, dans la partie gauche [de son cœur],
אלא שכפוף ובטל לטוב מחמת מיעוטו
mais ce mal ne s’exprime pas en lui, même sous forme de mauvais désirs parce qu’il est plié et soumis devant le bien du fait de sa petitesse et n’est donc pas ressenti.
ולכן נדמה לו כי ויגרשהו וילך לו כולו לגמרי
C’est pourquoi, il le tsaddik qui connaît le mal a l’impression de l’avoir chassé et que celui-ci a entièrement disparu.
אבל באמת אלו חלף והלך לו לגמרי כל הרע שבו היה נהפך לטוב ממש.
Mais en vérité, si tout le mal qui était en lui l’avait quitté et avait totalement disparu, il aurait été transformé en bien.
Comme observé plus haut, cette affirmation nécessite quelques éclaircissements : pourquoi l’absence de désir du tsaddik à l’égard du mal n’est-elle pas la preuve de sa destruction ? Pourquoi affirmer que ce tsaddik a seulement l’impression de s’être débarrassé du mal ? Pour répondre à ces questions, Rabbi Chnéour Zalman poursuit en clarifiant le sens de l’expression « tsaddik accompli ». Voici brièvement son explication : ainsi qu’il a été expliqué dans le chapitre précédent, le tsaddik ne peut opérer la métamorphose de son mal en bien qu’en faisant intervenir son immense amour pour D.ieu, un amour appelé ahava betaanouguim, « amour dans les délices ». Il en découle que le « tsaddik inaccompli », dont l’ « amour dans les délices » est encore relatif, n’a pas réalisé cette transformation. « L’amour dans les délices » est donc le critère par lequel se mesure le niveau d’éradication du mal chez le tsaddik. Dans les termes du Tanya :
וביאור הענין
Pour expliquer ce point :
כי הנה צדיק גמור שנהפך הרע שלו לטוב ולכן נקרא צדיק וטוב לו
un « tsaddik accompli » dont le mal a été transformé en bien, et qui est, pour cela, qualifié de « tsaddik qui connaît [uniquement] le bien »
הוא על ידי הסרת הבגדים הצואים לגמרי מהרע
est parvenu à ce niveau en se dépouillant complètement de [ses] « vêtements souillés » du mal.
דהיינו למאוס מאד בתענוגי עולם הזה להתענג בם בתענוגות בני אדם
Cela signifie qu’il éprouve une profonde aversion pour les plaisirs de ce monde et répugne à y prendre le même plaisir que les autres hommes,
למלאת תאות הגוף בלבד ולא לעבודת ה’
c’est-à-dire à satisfaire simplement l’appétit du corps au lieu d’orienter ce plaisir vers le service de D.ieu,
En réalité, les plaisirs matériels par lesquels s’effectue un service de D.ieu relèvent de la sainteté : par exemple, le plaisir de « se réjouir le Chabbat » par la nourriture et la boisson. Le plaisir qui révulse le tsaddik est celui qui a pour seule finalité la satisfaction d’un désir matériel.
מפני היותם נמשכים ונשפעים מהקליפה וסטרא אחרא
Ces plaisirs sont pour lui abomination parce qu’ils dérivent et sont entretenus par la klipa et la sitra a’hara – la véritable antithèse de la sainteté.
וכל מה שהוא מהסטרא אחרא הצדיק גמור הוא שונאו בתכלית השנאה
Car le « tsaddik accompli » hait de manière absolue tout ce qui procède de la sitra a’hara,
מחמת גודל אהבתו לה’ וקדושתו באהבה רבה בתענוגים וחיבה יתרה הנ"ל
du fait de son immense amour pour D.ieu et Sa Sainteté, un « immense amour dans les délices », dont l’intensité dépasse [celle des autres formes d’amour], comme il a déjà été expliqué (au ch. 9, Rabbi Chnéour Zalman a expliqué que « l’amour dans les délices » est le niveau ultime d’amour pour D.ieu). En raison de son immense amour pour D.ieu et la sainteté, le tsaddik hait totalement la klipa et la sitra a’hara,
כי הם זה לעומת זה
car elles (la sainteté et la klipa) sont antithétiques, son amour pour D.ieu se traduit donc par un sentiment proportionnel de haine envers la klipa et la sitra a’hara.
כדכתיב תכלית שנאה שנאתים לאויבים היו לי חקרני ודע לבבי וגו’
ainsi qu’il est dit : « Je les déteste d’une haine absolue, dit le roi David à l’égard de ceux qui s’opposent à D.ieu, ils sont devenus pour moi des ennemis ; sonde-moi, dit-il à D.ieu et connais mon cœur… »
En d’autres termes : « En me sondant et en sachant combien grand est l’amour que j’éprouve à Ton égard, Tu réaliseras combien grande est ma haine envers Tes ennemis. »
וכפי ערך גודל האהבה לה’ כך ערך גודל השנאה לסטרא אחרא והמיאוס ברע בתכלית
Et à la mesure de la dimension de l’amour pour D.ieu, est la dimension de la haine envers la sitra a’hara les klipot spirituelles qui donnent vie aux plaisirs physiques et la répugnance absolue envers le mal des plaisirs physiques,
Etant donné que la sitra a’hara est d’ordre spirituel, et de ce fait distante de l’homme physique, le terme « haine » est approprié. Par rapport aux plaisirs matériels, qui sont plus proches d’un homme, le terme « dégoût » est adéquat : le dégoût d’avoir quelque chose d’odieux immédiatement devant les yeux.
כי המיאוס הוא הפך האהבה ממש כמו השנאה.
car la répugnance est l’opposé exact de l’amour, comme la haine.
Ainsi, il est établi que le dégoût du tsaddik à l’égard du mal est un corollaire de son amour pour D.ieu, amour qui est du plus haut degré. Il est pour cela qualifié de « tsaddik accompli », car la qualité en vertu de laquelle il est qualifié de tsaddik, c’est-à-dire son amour pour D.ieu, est au plus haut niveau. Il est également appelé « tsaddik qui ne connaît que le bien » – il possède seulement du bien, ayant transformé en bien tout le mal qui était en lui. Par suite, le « tsaddik inaccompli », dont « l’amour dans les délices » n’est pas entier, n’éprouve qu’une haine nécessairement incomplète du mal. Ce qui revient à dire qu’un infime résidu de mal, même s’il n’est pas ressenti, demeure en lui. Il est donc appelé : « tsaddik qui connaît le mal ».
וצדיק שאינו גמור הוא שאינו שונא הסטרא אחרא בתכלית השנאה
Et le « tsaddik inaccompli » est celui qui ne déteste pas la sitra a’hara les klipot spirituelles d’une haine parfaite.
ולכן אינו מואס גם כן ברע בתכלית
Aussi n’éprouve-t-il pas une répugnance absolue à l’égard du mal – les désirs et les plaisirs matériels.
וכל שאין השנאה והמיאוס בתכלית על כרחך נשאר איזה שמץ אהבה ותענוג לשם
Et là où la haine et le dégoût ne sont pas absolus, demeure nécessairement quelque vestige d’amour et de plaisir.
ולא הוסרו הבגדים הצואים לגמרי מכל וכל
Les « vêtements souillés » dont s’est revêtue l’âme animale, c’est-à-dire le mauvais penchant, l’appétit pour les plaisirs du monde n’ont donc pas été complètement retirés.
ולכן לא נהפך לטוב ממש מאחר שיש לו איזה אחיזה עדיין בבגדים הצואים
Et c’est pourquoi [le mal] de son âme animale n’a pas été effectivement transformé en bien, étant donné qu’il a encore une certaine attache au niveau des « vêtements souillés » dont elle était auparavant revêtue.
אלא שהוא בטל במיעוטו וכלא חשיב
Seulement, ce mal est imperceptible et ne peut pas s’exprimer dans de mauvais désirs parce qu’il [le mal] est soumis devant le bien du fait de sa petitesse, et considéré comme inexistant, c’est-à-dire que la majorité écrasante de bien empêche le mal de se manifester et de s’exprimer.
ולכן נקרא צדיק ורע כפוף ובטל לו.
C’est pourquoi il est qualifié de tsaddik véra lo, dont le sens littéral est également « un tsaddik dont le mal est [à lui, c’est-à-dire] plié et soumis à lui » c’est-à-dire au bien qui est en lui. Un tel tsaddik s’identifie au bien, parce que sa nature est essentiellement bonne.
ועל כן גם אהבתו לה’ אינה בתכלית
Et par conséquent, le fait qu’un peu de mal demeure en lui montre que son amour pour D.ieu est également imparfait car un parfait amour pour D.ieu aurait transformé tout son mal en bien.
ולכן נקרא צדיק שאינו גמור
D’où son nom « tsaddik inaccompli ».
En effet, comme déjà indiqué, les termes « accompli » et « inaccompli » traduisent le niveau d’amour pour D.ieu du tsaddik, et les expressions « qui (ne) connaît (que) le bien » et « qui connaît le mal » font référence au degré d’annihilation et de transformation du mal qui est en lui.
והנה מדרגה זו מתחלקת לרבבות מדרגות בענין בחינת מיעוט הרע הנשאר מאחת מארבע יסודות הרעים
Or, ce niveau – du « tsaddik inaccompli », qui « connaît le mal » – se subdivise en des myriades de niveaux, suivant la qualité de l’infime reste de mal en lui, [qui provient] de l’un des quatre « mauvais éléments » composant l’âme animale (cf. ch. 1 pour la définition de ces quatre éléments).
Le mal subsistant peut être, chez certains tsaddikim, issu de l’élément d’eau, et chez d’autres, de l’élément de feu… Une différenciation de nature qualitative existe donc, fondée sur la catégorie dont relève le mal restant. Rabbi Chnéour Zalman va maintenant observer que des différences existent également sur un plan qu’on pourrait qualifier de quantitatif et qui correspond au degré d’effacement d’identité du mal dans le bien. Chez l’un, ce mal résiduel est tel que la proportion de bien par rapport au mal peut être décrite comme soixante fois supérieure ; chez un autre, le mal peut être plus amorphe de sorte qu’il est confondu dans une proportion mille fois supérieure de bien… Ainsi, la halakha, loi juive, tranche-t-elle dans certains cas que si une unité d’un aliment non kacher se trouve incorporée dans une quantité d’au moins soixante unités kacher, le mélange constitué reste kacher (puisque la substance non kacher ne communique pas son goût). De même, on peut dire qu’une majorité de 60 fois plus de bien que de mal empêche l’expression et la perception de ce mal résiduel. Dans les termes de Rabbi Chnéour Zalman :
ובענין ביטולו במיעוטו
Ce niveau se subdivise également sur le plan quantitatif suivant le degré d’effacement [du mal dans le bien], du fait de sa petitesse,
בששים על דרך משל או באלף ורבבה וכיוצא על דרך משל