Likoutei Amarim Chapitre 12 _______________
Dans les chapitres précédents, Rabbi Chnéour Zalman a défini le sens des termes tsaddik (juste) et racha (méchant). Le tsaddik est celui dont le bien de l’âme divine a vaincu le mal de l’âme animale, au point de l’avoir totalement éradiqué. Réciproquement, le racha est un homme dont le mal de l’âme animale prédomine sur le bien de l’âme divine, l’entraînant à fauter en pensée, en parole ou en action. C’est donc à présent le personnage du beinoni, l’« homme intermédiaire » qui n’est ni un tsaddik, ni un racha, qui va être étudié. Le beinoni est celui dont la conduite en pensée, en parole et en action, est régie uniquement par son âme divine, qui domine son âme animale. Il ne permet aucunement à cette dernière d’être maître de lui, fût-ce un seul instant. Jamais il n’agit, ne s’exprime, ou ne pense à l’encontre d’un interdit de la Thora : le beinoni n’utilise que les vêtements de l’âme divine. Néanmoins, pour ce qui est de l’essence de son âme divine et de son âme animale, c’est-à-dire leurs facultés intellectuelles et émotionnelles respectives, l’âme divine ne domine pas l’âme animale. Cette dernière demeure suffisamment puissante pour susciter un désir des choses matérielles. C’est grâce à une vigilance continue que le beinoni tient ces désirs en échec et ne leur permet pas de s’exprimer concrètement, sous quelque forme que ce soit.
פרק י"ב
והבינוני הוא שלעולם אין הרע גובר כל כך לכבוש את העיר קטנה
Et le beinoni (« l’homme intermédiaire ») est celui dont le mal de l’âme animale n’acquiert jamais suffisamment de force pour conquérir la « petite cité » (c’est-à-dire le corps, comparé à une petite cité qui est l’objet d’un conflit entre l’âme divine et l’âme animale).
להתלבש בגוף להחטיאו
au point de se revêtir du corps et le faire fauter.
דהיינו ששלשה לבושי נפש הבהמית שהם מחשבה דבור ומעשה שמצד הקליפה
C’est-à-dire que les trois « vêtements » de l’âme animale, que sont la pensée, la parole et l’action, qui proviennent de la klipa (c’est-à-dire les pensées, les paroles, et les actions interdites, dont la vitalité procède de la klipa, comme il a été expliqué aux chapitres précédents). Ces trois vêtements de l’âme animale sont, chez le beinoni, subordonnés au point qu’ils
אין גוברים בו על נפש האלקית להתלבש בגוף
ne prennent pas chez lui le dessus sur l’âme divine pour se revêtir du corps,
במוח ובפה ובשאר רמ”ח אברים להחטיאם ולטמאם חס ושלום
[au niveau] du cerveau (de sorte que le cerveau nourrisse des pensées interdites – le vêtement de la pensée de l’âme animale), de la bouche (pour prononcer des paroles interdites – le vêtement de la parole), ou d’un autre des 248 membres (pour agir de façon interdite – le vêtement de l’action) – les vêtements de l’âme animale n’atteignent aucun de ces membres pour les faire fauter et les souiller, à D.ieu ne plaise (il serait dans ce cas un racha, et non un beinoni).
רק שלשה לבושי נפש האלקית הם לבדם מתלבשים בגוף שהם מחשבה דבור ומעשה של תרי”ג מצות התורה
[Au contraire,] seuls les trois vêtements de l’âme divine se revêtent du corps, lesquels sont la pensée, la parole et l’action qui relèvent des 613 commandements de la Thora.
ולא עבר עבירה מימיו ולא יעבור לעולם
Il (le beinoni) n’a jamais commis de transgression et n’en commettra jamais ;
ולא נקרא עליו שם רשע אפילו שעה אחת ורגע אחד כל ימיו
le nom « racha » ne lui a jamais été appliqué, même temporairement, fût-ce un seul instant, tout au long de sa vie.
Le Rabbi fait observer dans une note : « La question est connue… » concernant cette affirmation de Rabbi Chnéour Zalman selon laquelle « le beinoni est un homme n’ayant jamais commis de faute », la question suivante est communément soulevée : « N’est-il pas possible, par le repentir et le service de D.ieu qui le suit, d’atteindre le niveau de beinoni malgré ses fautes passées ? Le repentir ouvre la possibilité de s’élever au niveau de tsaddik : le niveau de beinoni ne peut donc pas être hors de portée ! » Le Rabbi répond à cette question de la manière suivante : Quand Rabbi Chnéour Zalman affirme que le beinoni n’a jamais commis de faute, il ne faut pas comprendre qu’il serait question de tout le vécu du beinoni, tout au long de sa vie physique. On veut dire, qu’en tant que beinoni, il n’a jamais fauté. L’état spirituel du beinoni est tel que la faute, dans le passé comme dans le futur, est inconcevable en ce sens qu’il ne fauterait pas, même s’il était sujet aux mêmes tentations et aux mêmes épreuves que celles éprouvées avant qu’il ne s’élève à cet état. Il est donc à ce titre possible de dire qu’il n’a jamais fauté. La seconde partie de l’affirmation de Rabbi Chnéour Zalman, selon laquelle « le beinoni ne commettra jamais de faute », doit être comprise dans la même perspective. Elle ne signifie pas que, pour le beinoni, la faute est impossible : il n’a pas perdu son libre arbitre. Mais plutôt, son état présent est tel qu’il exclut toute possibilité de faute ultérieure, quelles que soient les épreuves qu’il pourrait endurer. Pour être qualifié de beinoni, il faut répondre à ces conditions. Ainsi, celui dont l’état spirituel n’exclurait la faute que du fait des conditions présentes (si bien qu’il succomberait à la faute s’il se trouvait soumis aux même tentations que par le passé) est potentiellement un racha. En effet, il peut fauter, et fauterait effectivement s’il rencontrait des circonstances moins favorables. De la même façon, Rabbi Chnéour Zalman conclut : « le nom “racha” (celui qui faute en pensée, en parole, ou en action) ne lui a jamais été appliqué (dans son état de beinoni), même temporairement… » En effet, le beinoni est parvenu à un état qui exclut la faute, quelles que soient les circonstances, passées comme futures. Il reste toutefois à comprendre pourquoi un homme si élevé est simplement considéré comme un beinoni, et non comme un tsaddik. C’est la question qui va maintenant être étudiée.
אך מהות ועצמות נפש האלקית שהן עשר בחינותיה
Toutefois, l’être et essence de l’âme divine, qui sont ses dix facultés
(Les trois facultés intellectuelles et les sept facultés émotionnelles ne sont désignées ici comme l’essence de l’âme que par opposition aux « vêtements » - la pensée, la parole, et l’action - qui servent simplement de moyen d’expression pour ces facultés essentielles de l’âme.)
לא להן לבדן המלוכה והממשלה בעיר קטנה
n’exercent pas de souveraineté et de domination exclusive sur la petite cité – le corps.
Car, comme il sera expliqué par la suite, les facultés de l’âme animale exercent également une certaine influence sur son corps : elles peuvent susciter en son cœur un désir pour les plaisirs de ce monde, désir qui provoque de mauvaises pensées dans son esprit.
כי אם בעתים מזומנים כמו בשעת קריאת שמע ותפלה
C’est seulement à certains moments particuliers que l’âme divine exerce une souveraineté incontestée chez le beinoni, sans être affectée par l’âme animale, comme durant la lecture du Chéma et la Amida.
שהיא שעת מוחין דגדלות למעלה
Car [l’heure de la prière] est un moment [durant lequel brille] « l’Intellect Sublime » (Mo’hin Degadlout) en haut – c’est un moment d’immense révélation dans les mondes supérieurs ;
וגם למטה היא שעת הכושר לכל אדם
et ici-bas également – en ce monde physique – elle [l’heure de la prière] est un moment propice à l’élévation spirituelle pour tout homme.
שאז מקשר חב”ד שלו לה’
A ce moment, durant la lecture du Chéma et la prière, il [le beinoni] attache son ‘HaBaD – ses facultés intellectuelles ‘Hokhma, Bina, et Da’at – à D.ieu,
להעמיק דעתו בגדולת אין סוף ברוך הוא
en méditant profondément sur la grandeur du Ein Sof Béni soit-Il,
ולעורר את האהבה כרשפי אש בחלל הימני שבלבו
et éveille à travers cette méditation l’amour ardent [pour D.ieu] dans la partie droite de son cœur (car, comme il a été expliqué aux chapitres précédents, la méditation sur la grandeur de D.ieu suscite dans le cœur un sentiment d’amour pour Lui).
לדבקה בו בקיום התורה ומצותיה מאהבה
Cet amour, à son tour, conduit le beinoni au désir de s’attacher à Lui au moyen de l’observance de la Thora et de ses commandements par amour.
La prise de conscience que seul l’accomplissement de la Thora et de ses commandements permet la réalisation de son désir de s’attacher à D.ieu fait que l’amour du beinoni aboutit à un désir d’observer la Thora et les mitsvot.
שזהו ענין המבואר בקריאת שמע דאורייתא
Ceci cet éveil d’amour pour D.ieu, avec pour corollaire l’observance de la Thora et des mitsvot pour s’attacher à D.ieu, est l’idée essentielle du Chéma, dont la lecture fait l’objet d’un commandement Biblique (déorayta),
וברכותיה שלפניה ולאחריה שהן מדרבנן הן הכנה לקיום הקריאת שמע כמו שכתוב במקום אחר
et les bénédictions qui la précèdent et lui font suite, instituées par nos Sages (derabbanan), constituent une préparation [permettant] la réalisation [de l’idée essentielle] de la lecture du Chéma, comme il est expliqué ailleurs.
ואז הרע שבחלל השמאלי כפוף ובטל לטוב המתפשט בחלל הימני מחב”ד שבמוח המקושרים בגדולת אין סוף ברוך הוא
A ce moment-là, pendant la lecture du Chéma ou la prière, quand l’amour pour D.ieu brûle dans le cœur du beinoni, le mal dans le côté gauche de son cœur (le siège principal de la manifestation de l’âme animale) est plié et soumis devant le bien qui se propage dans le côté droit [du cœur] (lieu de manifestation de l’âme divine), issu des facultés de ‘HaBaD du cerveau qui sont attachées à la grandeur du Ein Sof béni soit-Il.
La réflexion sur la grandeur de D.ieu par les trois facultés intellectuelles – la sagesse, la compréhension, et la connaissance (‘HaBaD) – éveille et répand un amour pour D.ieu dans le côté droit du cœur. Cet éveil d’amour provoque la soumission du mal de l’âme animale devant le bien de l’âme divine qui se répand à ce moment dans le cœur. A l’heure de la prière, quand le beinoni éveille son amour pour D.ieu par la méditation, son âme animale est inactive et il n’éprouve pas d’attrait pour les plaisirs physiques. La souveraineté de son âme divine est alors incontestée.
אבל אחר התפלה בהסתלקות המוחין דגדלות אין סוף ברוך הוא הרי הרע חוזר וניעור בחלל השמאלי ומתאוה תאוה לתאות עולם הזה ותענוגיו
Mais cet état de choses ne dure que le temps de la prière ; après la prière, quand « l’Intellect Sublime » du Ein Sof béni soit-Il ne [brille] plus, c’est-à-dire quand la révélation spirituelle engendrée par la prière cesse, le mal de son âme animale se ranime à nouveau dans le côté gauche [du cœur], et il (le beinoni) éprouve encore une fois un désir pour les plaisirs de ce monde et ses délices, car le mal dans le cœur du beinoni demeure inchangé après la prière (comme Rabbi Chnéour Zalman va l’expliquer brièvement).
רק מפני שלא לו לבדו משפט המלוכה והממשלה בעיר אינו יכול להוציא תאותו מכח אל הפועל להתלבש באברי הגוף
Mais parce que [le mal de l’âme animale] n’a pas la souveraineté et la domination exclusive sur la « cité », car le bien de l’âme divine (située dans le cerveau) a également son influence, il ne parvient pas à réaliser son désir en se revêtant des membres du corps,
במעשה דבור ומחשבה ממש
[pour s’exprimer] en action, en parole, ou en pensée effective –
להעמיק מחשבתו בתענוגי עולם הזה איך למלאת תאות לבו
Par « pensée effective », on entend le fait de concentrer sa pensée sur les plaisirs de ce monde, [en vue de trouver] comment satisfaire l’appétit de son cœur.
L’attirance du beinoni vers les plaisirs de ce monde provoque l’apparition, de son cœur vers son esprit, de pensées qui échappent au contrôle de son âme divine. Néanmoins, il est maître de sa pensée « effective » – c’est-à-dire celle qui est consciente et délibérée – de sorte que dès qu’il prend conscience de la nature mauvaise de ses pensées, il les chasse de son esprit, et n’accepte pas de s’y étendre (ce point sera développé plus longuement dans la suite de ce chapitre). Rabbi Chnéour Zalman revient maintenant à sa précédente affirmation, à savoir que l’âme divine du beinoni tient les désirs de l’âme animale en échec, empêchant leur expression en pensée, en parole, et en action. Il explique comment cela est possible.
כי המוח שליט על הלב (כמו שכתוב ברעיא מהימנא פרשת פנחס) בתולדתו וטבע יצירתו
Parce que le cerveau maîtrise le cœur (ainsi qu’il est écrit dans le Raya Méhemna, Section Pin’has) de par sa nature innée,
שכך נוצר האדם בתולדתו שכל אדם יכול ברצונו שבמוחו להתאפק ולמשול ברוח תאותו שבלבו
car c’est ainsi que l’homme fut créé : tout homme a la capacité, [par le pouvoir de] la volonté dans son cerveau – c’est-à-dire la volonté engendrée par sa compréhension – de se contenir et dominer l’état de désir de son cœur,
שלא למלאת משאלות לבו במעשה דבור ומחשבה
en ne réalisant pas les souhaits de son cœur en action, en parole, ou en pensée, quand son esprit comprend le mal inhérent à de telles actions, paroles, ou pensées,
ולהסיח דעתו לגמרי מתאות לבו אל ההפך לגמרי
et [plus encore,] en détachant complètement son attention du désir de son cœur [pour la porter] vers l’opposé absolu,
Le principe d’une domination du cerveau sur le cœur reste vrai même dans l’hypothèse où le rejet d’un désir est exclusivement dicté par des considérations rationnelles, hors de toute considération relevant de la sainteté. La pensée rationnelle est, en elle-même, suffisante à détourner radicalement l’esprit du désir du cœur.
ובפרט אל צד הקדושה
S’il en est ainsi quelle que soit sa motivation, il est particulièrement vrai qu’il peut détourner son esprit du côté de la sainteté,
A fortiori, lorsqu’on se détourne des désirs du cœur parce qu’ils sont interdits, et parce qu’on doit lier toutes ses pensées à la sainteté, dispose-t-on de forces particulières.
כדכתיב וראיתי שיש יתרון לחכמה מן הסכלות כיתרון האור מן החושך
[car c’est] ainsi qu’il est dit : « Et j’ai vu que la sagesse est supérieure à la sottise comme la lumière est supérieure à l’obscurité ».
Le but d’une analogie est d’expliciter un concept difficile à l’aide d’une idée simple et communément admise. Or, l’analogie entre, d’une part, la sagesse et la lumière et, d’autre part, la sottise et l’obscurité, semble être inutile, l’opposition entre sagesse et sottise ne faisant pas difficulté. Même si l’on suggère qu’il est ici fait référence à un aspect profond de la « sagesse », celui de la sainteté (c’est ainsi que l’Ecclésiaste décrit le penchant pour le bien comme « un enfant pauvre et sage »), et que cette « folie » se rattache au penchant pour le mal (appelé par ailleurs « roi vieux et stupide »), l’analogie n’est pas nécessaire, car le bien est clairement supérieur au mal. Rabbi Chnéour Zalman va donc expliquer que cette analogie illustre la nature de la supériorité de la sagesse sur la folie : la supériorité de la lumière sur l’obscurité se caractérise par la capacité qu’a un infime rayon de lumière de chasser beaucoup d’obscurité. De surcroît, cette disparition de l’obscurité n’exige pas que lui soit livré combat par la lumière : l’obscurité disparaît du seul fait de l’apparition de lumière. Cette analogie établit ainsi que la sainteté exerce sa supériorité sur la folie du penchant vers le mal à la manière de la lumière sur l’obscurité. Un minuscule rayon de sainteté suffit pour chasser – ipso facto – une grande mesure de la folie du mal. Dans les mots du Tanya :