Likoutei Amarim Chapitre 22 _______________
Dans le chapitre précédent, Rabbi Chnéour Zalman a mis en évidence la différence entre la parole humaine et la Parole divine. La première présente deux caractères : d’une part, elle révèle à celui qui l’écoute ce qui était caché dans les pensées de l’orateur et d’autre part, la parole exprimée devient alors une entité distincte, séparée de l’orateur. En revanche, la Parole divine ne peut pas être séparée de D.ieu, puisqu’il n’est rien d’extérieur à Lui. La Parole divine, même après avoir été « exprimée » et révélée (dans la création ou au travers d’une révélation prophétique), reste unie avec D.ieu et annulée devant Lui. Cette union est semblable à celle qui unit la parole avec l’orateur avant qu’elle ne soit exprimée oralement, quand cette parole se situe encore dans sa source, à savoir le désir ou la compréhension qui suscite la pensée à l’origine de cette parole. L’usage du concept humain de parole pour désigner la Parole divine créatrice n’a donc de sens que pour la première des caractéristiques de la parole humaine, son effet de révélation. Dans ce chapitre, Rabbi Chnéour Zalman remarque que l’usage par la Thora elle-même du terme « parole » pour désigner la révélation divine indique que cette dernière possède également, au moins dans un certain sens, le second caractère de la parole humaine (la séparation qu’elle implique). Il montre que ce deuxième point de comparaison n’a de sens que pour la Parole divine telle qu’elle est perçue par les créatures. Car les créatures perçoivent la Parole divine qui les anime, et donc leur existence même, comme séparée de D.ieu, et c’est dans ce sens que la Parole divine peut être comparée à la parole humaine en tant qu’elle induit un effet de séparation. Cette manière de se voir soi-même comme séparé de sa source créatrice caractérise notamment les klipot et la sitra a’hara, qui constituent un déni de l’unité de D.ieu.
פרק כ"ב
רק שהתורה דברה כלשון בני אדם ונקרא בתורה דבורו של מקום ברוך הוא בשם דבור ממש כדבורו של אדם
Toutefois, « la Thora a employé le langage de l’homme », et la « Parole » de D.ieu est désignée dans la Thora par le terme « parole », comme la parole d’un être humain qui se caractérise par sa séparation de celui qui l’exprime ; la Parole de D.ieu est donc, elle aussi, dans une certaine perspective, distincte de Lui.
לפי שבאמת כך הוא דרך ירידת והמשכת החיות לתחתונים
Car il en est vraiment ainsi ; non par rapport à D.ieu Lui-même, mais du point de vue des êtres créés. Cette séparation apparaît par la descente de la force vitale vers les [êtres] inférieurs
בצמצומים רבים ועצומים מינים ממינים שונים להבראות מהם ברואים רבים מינים ממינים שונים
au moyen d’une multitude de contractions puissantes, où chaque contraction amplifie la dissimulation de la force divine créatrice. Ces contractions sont de diverses sortes, pour que de nombreuses et diverses créatures soient créées à travers elles.
La disparité présente dans la création résulte des diverses sortes de contractions de la force créatrice.
וכל כך גברו ועצמו הצמצומים והסתר פנים העליונים
Et ces contractions et cette dissimulation de la « Face suprême » sont si grandes et si puissantes, c’est-à-dire que l’aspect intérieur de la force vitale divine est tellement voilé,
עד שיוכלו להתהוות ולהבראות גם דברים טמאים וקליפות וסטרא אחרא
que même des choses impures, les klipot et la sitra a’hara peuvent venir à l’existence et être créées,
Les contractions, aussi nombreuses qu’elles aient été, n’auraient pas pu rendre possible l’existence des klipot. Même à ce niveau inférieur, la force divine créatrice n’aurait en aucune façon produit des créatures qui nient D.ieu. En réalité, c’est l’aspect qualitatif, c’est-à-dire l’intensité des contractions plutôt que leur nombre qui permet l’existence des klipot,
ולקבל חיותם וקיומם מדבר ה’ ורוח פיו יתברך בהסתר פנים וירידת המדרגות
et dès lors, les klipot peuvent recevoir leur vie et leur existence de la Parole divine et du souffle de Sa bouche, par la dissimulation de Sa Face et d’une descente de niveaux.
ולכן נקראים אלקים אחרים מפני שיניקתם וחיותם אינה מבחינת פנים אלא מבחינת אחוריים דקדושה
Aussi les klipot sont-elles appelées « autres dieux » (élokim a’hérim), car leur nourriture et leur vitalité qu’ils puisent du domaine de la sainteté (car chaque être tire sa vitalité de la sainteté) – ne provient pas de la « Face », c’est-à-dire de l’aspect intérieur de la Volonté divine, mais de l’aspect arrière (a’horaïm) de la Sainteté, c’est-à-dire l’aspect extérieur, superficiel de la Volonté divine.
Il faut maintenant définir les termes « Face » et « aspect arrière » par rapport à la Volonté divine. Voici un aperçu de l’explication donnée par Rabbi Chnéour Zalman : une volonté est dite « intérieure » lorsqu’elle s’applique directement à son objet. A l’opposé, elle est dite extérieure lorsqu’elle est contrainte, c’est-à-dire que l’objet auquel elle s’applique n’est pas désiré pour lui-même, mais seulement en tant que moyen pour atteindre une autre fin qui, elle, correspond à la volonté « intérieure ».
ופירוש אחוריים כאדם הנותן דבר לשונאו שלא ברצונו שמשליכו לו כלאחר כתפו כי מחזיר פניו ממנו משנאתו אותו
[La notion d’ « aspect] arrière » [peut être] explicitée [par l’exemple d’]un homme qui donne un objet à contrecœur à son ennemi, en vue d’autre chose ; il le lui jette par-dessus l’épaule, en lui tournant le visage, du fait de la haine [qu’il éprouve] à son égard
Les gestes du corps traduisent les sentiments de l’âme. Quand le donneur n’est motivé que par une volonté extérieure, il détourne son visage, où se reflètent les aspects les plus intérieurs de son âme.
כך למעלה בחינת פנים הוא פנימית הרצון העליון וחפצו האמיתי אשר חפץ ה’ להשפיע חיות לכל הקרוב אליו מסטרא דקדושה
De même, en haut, la « Face » désigne l’aspect intérieur de la Volonté suprême et Son véritable désir, le désir de D.ieu de dispenser la vie à tout ce qui est proche de Lui, du domaine de la sainteté.
אבל הסטרא אחרא והטומאה היא תועבת ה’ אשר שנא
Mais la sitra a’hara et l’impureté sont « une abomination devant D.ieu, qu’Il déteste ».
ואינו משפיע לה חיות מפנימית הרצון וחפצו האמיתי אשר חפץ בה חס ושלום
Il ne leur pourvoit pas la vie de Sa Volonté intérieure et de Son véritable désir, à D.ieu ne plaise,
כי אם כמאן דשדי בתר כתפוי לשונאו שלא ברצונו
mais à la manière de quelqu’un qui, à contrecœur, jette [un objet] par-dessus son épaule à son ennemi.
רק כדי להעניש את הרשעים וליתן שכר טוב לצדיקים דאכפיין לסטרא אחרא
Ainsi, D.ieu ne donne pas la vie aux klipot de Sa Volonté intérieure, mais seulement afin de punir les méchants qui se soumettent aux klipot et en tirent leur vitalité, et pour donner une bonne récompense aux justes qui font plier la sitra a’ hara.
L’existence de la sitra a’hara est nécessaire pour laisser à chacun le libre arbitre d’être juste ou méchant. C’est pour cette raison, extérieure, que D.ieu lui octroie la vie.
וזה נקרא בחינת אחוריים דרצון העליון ברוך הוא.
Et c’est cela qui est appelé l’aspect « arrière » de la Volonté suprême.
Les klipot sont appelées élokim a’hérim – « autres dieux », car elles procèdent d’a’horaïm, l’« aspect arrière » de la Volonté divine.
והנה רצון העליון בבחינת פנים הוא מקור החיים המחיה את כל העולמות
Or, la Volonté suprême, de l’aspect de « Face », c’est-à-dire la Volonté intérieure de D.ieu, qui est directement orientée vers l’objet de Son désir, est la source de la vie qui anime tous les mondes.
ולפי שאינו שורה כלל על הסטרא אחרא וגם בחינת אחוריים של רצון העליון אינו מלובש בתוכה ממש אלא מקיף עליה מלמעלה לכך היא מקום המיתה והטומאה ה’ ישמרנו
Et puisqu’elle ne repose aucunement sur la sitra a’hara, et que même l’ « aspect arrière » de la Volonté divine qui est à l’origine de l’existence de la sitra a’hara n’en est pas revêtu, mais l’enveloppe seulement d’en haut, elle la sitra a’hara est le lieu de la mort et de l’impureté, que D.ieu nous en garde.
כי מעט מזער אור וחיות שיונקת ומקבלת לתוכה מבחינת אחוריים דקדושה שלמעלה הוא בבחינת גלות ממש בתוכה בסוד גלות השכינה הנזכר לעיל
Car l’infime mesure de lumière et de vie qu’elle puise et absorbe intérieurement de l’aspect extérieur de la Sainteté divine, s’y trouve en état d’exil – suivant le concept de l’exil de la Chékhina [à l’intérieur des klipot] évoqué précédemment.
ולכן נקרא בשם אלקים אחרים
C’est également la raison pour laquelle [la klipa] est appelée « autres dieux », cette raison s’ajoute à celle donnée précédemment, à savoir que les klipot sont appelées « d’autres dieux » car elles proviennent de a’horaïm, l’aspect « arrière » de la Volonté divine.
שהיא עבודה זרה ממש וכפירה באחדותו של מלך מלכי המלכים הקדוש ברוך הוא
car elle constitue une véritable idolâtrie et un déni de l’unité du Roi des rois des rois, le Saint, béni soit-Il.
Voici l’explication de ces deux raisons : chaque être créé est animé par deux types de forces vitales divines. L’une est une vitalité immanente, adaptée au caractère et à la capacité de chaque être. Elle s’unit avec lui et est ressentie par lui ; cette vitalité intérieure constitue son identité. Le second type de force divine créatrice est une force de nature « enveloppante », c’est-à-dire transcendante. Elle ne s’adapte pas au caractère individuel de chaque créature, et ne s’en revêt pas, mais l’anime, pour ainsi dire, « de l’extérieur » à partir de son propre niveau, qui transcende celui de la créature animée. Les klipot sont, elles aussi, animées par ces deux formes de vitalité divine. La dernière, qui ne les pénètre pas intérieurement, n’entrave donc pas leur être. Les klipot peuvent alors se considérer comme des êtres indépendants, séparés de D.ieu, quoiqu’elles reconnaissent D.ieu comme la source de leur vitalité, et ne le nient pas. Par rapport à cette forme de force vitale divine, les klipot ne sont appelées élokim a’hérim (autres dieux) que parce qu’elles reçoivent leur vitalité de a’horaïm, l’aspect « arrière » de la Volonté divine. Toutefois, les klipot ne peuvent pas reconnaître la première forme de force vitale divine, immanente, tout en prétendant être séparées de D.ieu. Ce serait, en effet, une contradiction : comme on vient de le dire, cette force vitale est l’identité même de chaque être. Les klipot la nient donc absolument (et cette force se trouve en elles dans un véritable état d’exil). C’est par rapport à cette force vitale divine que les klipot sont appelées élokim a’hérim (autres dieux) au sens littéral du terme, qui signifie idolâtrie et déni de l’unité de D.ieu. C’est ce que Rabbi Chnéour Zalman va expliquer à présent :
כי מאחר שאור וחיות דקדושה הוא בבחינת גלות בתוכה אינה בטילה כלל לגבי קדושת הקדוש ברוך הוא
Car étant donné que la lumière et la vie de la Sainteté, c’est-à-dire la force vitale divine intérieure sont dans un état d’exil à l’intérieur de [la klipa], elle n’est aucunement soumise devant la Sainteté de D.ieu.
ואדרבה מגביה עצמה כנשר לומר אני ואפסי עוד וכמאמר יאור לי ואני עשיתני
Au contraire, elle s’élève comme un aigle, en disant : « Je suis, et il n’est rien d’autre que moi » ou, suivant l’expression de Pharaon : « La rivière est mienne, je l’ai faite moi-même ! »
ולכן אמרו רבותינו ז”ל שגסות הרוח שקולה כעבודה זרה ממש
C’est pourquoi nos Sages, de mémoire bénie, ont dit que l’arrogance équivaut véritablement à l’idolâtrie.
כי עיקר ושרש עבודה זרה הוא מה שנחשב לדבר בפני עצמו נפרד מקדושתו של מקום ולא כפירה בה’ לגמרי
Car le principe fondamental et la racine de l’idolâtrie sont le fait de se considérer comme une entité indépendante, séparée de la Sainteté de D.ieu ; [l’idolâtrie n’implique] pas [forcément] un déni absolu de D.ieu.
כדאיתא בגמרא דקרו ליה אלקא דאלקיא
Comme l’explique le Talmud, ceux qui relèvent de la klipa Le désignent [D.ieu] comme « le D.ieu des dieux » ; bien qu’ils ne nient pas Sa suprématie, cette expression est néanmoins une forme d’idolâtrie,
אלא שגם הם מחשיבים עצמם ליש ודבר בפני עצמו ובזה מפרידים את עצמם מקדושתו של מקום ברוך הוא מאחר שאין בטלים לו יתברך
seulement parce qu’ils se considèrent, eux aussi, comme une existence et une entité à part entière ; ils se séparent ainsi de la Sainteté de D.ieu, étant donné qu’ils ne sont pas effacés devant Lui.
כי אין קדושה עליונה שורה אלא על מה שבטל לו יתברך כנזכר לעיל
Car la Sainteté suprême ne repose que sur ce qui est annulé devant Lui, comme il a été expliqué plus haut.
ולכן נקראים טורי דפרודא בזהר הקדוש
C’est pour cette raison qu’elles [les klipot] sont désignées dans le Zohar comme les « montagnes de séparation ». c’est-à-dire qu’elles sont hautaines comme des montagnes, et se considèrent séparées de D.ieu.
והרי זו כפירה באחדותו האמיתית דכולא קמיה כלא חשיב ובטל באמת לו יתברך
Cela constitue un déni de la véritable unité [de D.ieu], puisque Son unité implique que : « Tout est considéré comme rien devant Lui », et que tout est totalement annulé devant Lui,
ולרצונו המחיה את כולם ומהוה אותם מאין ליש תמיד.
et devant Sa Volonté qui les anime tous, et qui les amène continuellement du néant à l’existence.
L’arrogance, qui est la vaine exaltation du moi « séparé », est donc un déni de l’unité divine, d’où l’équivalence avec l’idolâtrie établie par le Talmud. Voici brièvement résumées les idées évoquées dans ce chapitre : c’est à travers de nombreuses et diverses contractions (tsimtsoumim) que la Parole divine amena à l’existence les klipot et la sitra a’hara, qui se perçoivent comme des entités séparées de D.ieu. Pour cette raison, la Parole de D.ieu est qualifiée de « parole » dans la Thora, car l’idée de séparation qui existe dans la parole humaine (pour laquelle un mot prononcé se sépare de celui qui le prononce) se retrouve également dans la Parole divine à l’origine de la Création. Toutefois, cette séparation n’existe que du point de vue des êtres créés. Pour D.ieu, cependant, il n’est aucune séparation car il n’est rien d’autre que Lui. Rabbi Chnéour Zalman conclut ainsi la première étape de l’analyse amorcée dans le Chapitre Vingt. « Pour expliquer comment tous les commandements de la Thora sont compris dans les deux premiers commandements du Décalogue, il est nécessaire d’éclaircir au préalable la notion d’unité divine », dit-il. L’unité de D.ieu ne signifie pas simplement qu’il n’est pas d’autre dieu, mais plutôt que D.ieu est la seule existence (ch. 20-21). Toute sensation d’avoir une existence propre et extérieure à D.ieu (sentiment partagé par les klipot) est donc idolâtre (ch. 22). Dans les deux chapitres qui suivent, Rabbi Chnéour Zalman va montrer comment le concept de l’unité de D.ieu s’exprime dans tous les commandements de la Thora (ch. 23), et comment chaque transgression est une forme d’idolâtrie (ch. 24).
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