Likoutei Amarim Chapitre 35 _______________
En introduction à ce chapitre, il convient de rappeler que le Tanya se fonde sur les termes du verset : « car la chose (la Thora et les commandements) est très proche de toi, dans ta bouche, et dans ton cœur, pour la faire. » Ce verset affirme sans réserve qu’il est « proche », aisé autrement dit, d’accomplir la Thora par le truchement des trois moyens d’expression (désignés aussi comme les « vêtements de l’âme ») que sont la pensée (« ton cœur »), la parole (« ta bouche »), et l’action (« pour la faire »). Dans un sens second, l’expression « dans ton cœur » fait aussi référence aux sentiments d’amour et de crainte de D.ieu. Ils sont eux aussi « très proches de toi », c’est-à-dire à la portée de chacun. Rabbi Chnéour Zalman a relevé, au Chapitre dix-sept, que cette affirmation était tout simplement « contredite par l’expérience ». L’amour et la crainte de D.ieu dans leur sens véritable ne semblent certes pas faciles à acquérir. Il a alors expliqué que la proposition « pour la faire » établit le sens de celle qui la précède (« dans ton cœur ») en qualifiant les sentiments auxquels elle renvoie. Quels sont donc les sentiments d’amour et de crainte de D.ieu qui sont « proches de toi… dans ton cœur » ? Ceux qui mènent à « faire », c’est-à-dire qui motivent l’accomplissement concret des commandements (même si de tels sentiments ne sont pas ressentis dans le cœur comme des émotions révélées). La contemplation intellectuelle de la grandeur de D.ieu engendrera une forme intellectuelle d’« amour » et de « crainte » de D.ieu. Cet « amour » et cette « crainte » intellectuels à leur tour atteindront le cœur (car, par nature, l’intellect domine le cœur). Ainsi le cœur sera-t-il incité à l’accomplissement des commandements. Rabbi Chnéour Zalman a alors continué en expliquant que même celui qui n’a pas la hauteur spirituelle requise pour une telle contemplation peut parvenir à l’amour et la crainte de D.ieu. Il lui faut révéler l’ « amour naturel » enfoui dans son cœur, comme dans le cœur de chaque juif. Cet amour porte également en lui une certaine forme de crainte, celle d’être séparé de D.ieu. Il est donc « très proche », aisé, de servir D.ieu « dans son cœur », c’est-à-dire avec amour et crainte. Cependant, il apparaît, de la formulation du verset « cela est très proche de toi…dans ta bouche, et…ton cœur, pour la faire »), que si l’amour et la crainte de D.ieu sont nécessaires, la réalisation concrète des commandements en constitue la finalité. Dans les chapitres qui suivent, Rabbi Chnéour Zalman explique l’élévation de la dimension concrète des commandements par rapport à une dimension qui semblerait plus « spirituelle ». Il est aussi important de garder présent à l’esprit la définition que Rabbi Chnéour Zalman a donnée du beinoni. Il est celui qui ne se rend coupable d’aucune faute, tant en action qu’en parole ou en pensée. Le mal intrinsèque de l’âme animale, cependant, demeure dans toute sa vigueur. Il reste capable de faire émerger des désirs interdits dans son cœur. C’est seulement au prix d’une vigilance de tout instant que le beinoni empêche l’expression de ces désirs dans l’action, la parole, et la pensée (consciente).
פרק ל״ה
והנה לתוספת ביאור תיבת לעשותו
Et voici, pour expliquer davantage le mot laassoto (« pour la faire »).
La formulation du verset « car la chose est très proche de toi, dans ta bouche et dans ton cœur, pour la faire », indique que l’accent est mis sur l’action.
וגם להבין מעט מזעיר תכלית בריאת הבינונים
Et aussi pour comprendre un tant soit peu la finalité de la création des beinonim,
Les beinonim ont été créés de telle sorte qu’ils resteront assignés à ce statut, la possibilité de le dépasser ne relevant pas vraiment du libre arbitre de tout un chacun.
וירידת נשמותיהם לעולם הזה להתלבש בנפש הבהמית שמהקליפה וסטרא אחרא
et la finalité de la descente de leurs âmes en ce monde, [où il leur faut] se revêtir de l’âme animale, [âme qui procède] de la klipa et de la sitra a’hara (aux antipodes de l’âme divine),
מאחר שלא יוכלו לשלחה כל ימיהם
dès lors qu’ils ne pourront la chasser toute leur vie durant,
ולדחותה ממקומה מחלל השמאלי שבלב שלא יעלו ממנה הרהורים אל המוח
[ni même] la repousser de sa place dans le côté gauche du cœur, de sorte qu’[aucune de] ses [mauvaises] pensées ne montent vers le cerveau. Même pareille chose n’est pas à leur portée.
כי מהותה ועצמותה של נפש הבהמית שמהקליפה היא בתקפה ובגבורתה אצלם כתולדתה
Car l’être et essence de l’âme animale [qui procède] de la klipa est dans [toute] sa vigueur et toute sa force chez eux, comme à la naissance ;
La lutte menée contre elle n’exerce aucun effet sur sa nature essentielle.
רק שלבושיה אינם מתלבשים בגופם כנזכר לעיל
c’est seulement que ses vêtements c’est-à-dire les mauvaises pensées, paroles, actions de l’âme animale ne se revêtent pas de leur corps comme expliqué plus haut au Chapitre douze. Rabbi Chnéour Zalman y a expliqué que le beinoni ne permet pas l’expression de cette âme animale en pensée, parole ou action.
Cependant, puisque le beinoni, s’il parvient à mettre en échec ses moyens d’expression, ne peut jamais, en dépit des efforts engagés, opérer un quelconque changement dans la nature essentielle de son âme animale, on peut légitimement s’interroger :
ואם כן למה זה ירדו נשמותיהם לעולם הזה ליגע לריק חס ושלום להלחם כל ימיהם עם היצר ולא יכלו לו
S’il en est ainsi, pourquoi donc leurs âmes sont-elles descendues dans ce monde pour peiner en vain, à D.ieu ne plaise, en combattant toute leur vie durant contre le [mauvais] penchant, sans pouvoir avoir raison de lui ?
De fait, on a déjà expliqué que cette lutte permanente menée par le beinoni pour empêcher l’expression de son mauvais penchant en pensée, parole, ou action, suscite un immense plaisir en Haut. Peut-on donc affirmer que cette bataille est vaine ? Mais la question est la suivante : si l’unique finalité de ce combat était le plaisir qu’en retirerait D.ieu, pourquoi l’âme divine devrait-elle se revêtir à l’intérieur de l’âme animale ? Ces deux âmes ne pourraient-elles pas demeurer deux forces opposées et indépendantes, bien distinctes l’une de l’autre, la victoire étant pour l’âme divine l’occasion d’agir seule, sans le biais de sa rivale ? Cependant, dès lors qu’elles se trouvent ainsi enchevêtrées, l’âme animale semble être la principale intéressée. C’est-à-dire qu’au-delà du plaisir divin suscité par la retenue de l’âme animale, un véritable changement est à attendre dans la nature de celle-ci. Et de ce point de vue-là, le combat du beinoni parait en tout état de cause vain, ses efforts étant d’avance voués à l’échec.
ותהי זאת נחמתם לנחמם בכפליים לתושיה ולשמח לבם בה׳ השוכן אתם בתוך תורתם ועבודתם
Que l’explication qui va suivre soit leur consolation, pour les consoler doublement et pour réjouir leur cœur en D.ieu qui réside avec eux dans leur Thora et leur service [divin].
C’est-à-dire que la consolation et la joie devront être, pour eux, trouvées dans la lumière divine qui les habite au moment de l’étude et du service de D.ieu.
והוא בהקדים לשון הינוקא [בזהר פרשת בלק] על פסוק החכם עיניו בראשו
[Il faut pour] cela tout d’abord [éclaircir] ce que dit le Yenouka (dans le Zohar, section Balak) sur le verset : « le sage, ses yeux sont dans sa tête »
וכי באן אתר עינוי דבר נש כו׳ אלא קרא הכי הוא ודאי
Le Zohar interroge : « Où [donc] sont les yeux de l’homme etc. pour que le sage soit ainsi dépeint ? Mais voici donc ce que le verset [signifie] certainement :
דתנן לא יהך בר נש בגילוי׳ דרישא ארבע אמות מאי טעמא דשכינתא שריא על רישיה
on a appris : un homme ne marchera pas quatre coudées la tête découverte. Quelle en est la raison ? Car la Chekhina [la Présence divine] repose sur sa tête.
וכל חכם עינוהי ומילוי ברישיה אינון בההוא דשריא וקיימא על רישיה
Et c’est pourquoi tout homme sage, ses yeux c’est-à-dire son centre d’intérêt et par conséquent sa parole sont [portés] « dans sa tête » c’est-à-dire sur ce (la lumière de la Chekhina) qui repose sur sa tête.
וכד עינוי תמן לנדע דההוא נהורא דאדליק על רישיה אצטריך למשחא
Et dès lors que ses yeux c’est-à-dire toute son attention et son intérêt sont [portés] là-bas, qu’il sache que cette flamme qui brûle sur sa tête c’est-à-dire qui illumine son âme a besoin d’huile.
בגין דגופא דבר נש איהו פתילה ונהורא אדליק לעילא
Car le corps d’un homme est la mèche et la flamme brûle au-dessus,
ושלמה מלכא צוח ואמר ושמן על ראשך אל יחסר
et le roi Salomon s’est écrié et a dit : « que l’huile sur ta tête ne manque pas »,
דהא נהורא דבראשו אצטריך למשחא ואינון עובדאן טבאן
car cette flamme qui est sur sa tête a besoin d’huile, ce que sont les bonnes actions – les bonnes actions accomplies sont l’huile qui maintient la flamme.
ועל דא החכם עיניו בראשו
Et pour cela le sage a ses yeux « dans sa tête » il se soucie et veille constamment à ce qu’il ne manque jamais d’huile à la flamme.
עד כאן לשונו
Fin de la citation [du Zohar].
והנה ביאור משל זה שהמשיל אור השכינה לאור הנר
Or, l’explication de cette image par laquelle [le Zohar] a comparé la lumière de la Chekhina à la lumière d’une lampe,
שאינו מאיר ונאחז בפתילה בלי שמן
qui n’éclaire pas et n’est pas retenue par la mèche sans huile,
וכך אין השכינה שורה על גוף האדם שנמשל לפתילה אלא על ידי מעשים טובים דווקא
et de même la Chekhina ne repose sur le corps de l’homme, comparé à une mèche, qu’au moyen des bonnes actions accomplies par ce dernier,
ולא די לו בנשמתו שהיא חלק אלוה ממעל להיות היא כשמן לפתילה
[tandis que] son âme, qui est une étincelle de D.ieu en Haut, ne lui suffit pas pour servir comme huile pour la mèche,
La nature du feu étant de s’élever vers le haut, il doit impérativement être retenu par une mèche ou par du bois. Cependant, la seule mèche est vite consumée ; de plus, elle produit une flamme assombrie car sa matière n’est pas complètement transformée et absorbée par la flamme. L’huile, quant à elle, se consume parfaitement, donnant une lumière pure et claire. On comprend donc que le corps ne puisse pas lui-même servir d’huile pour la flamme. Car il demeure toujours une entité physique et ne peut pas se fondre dans la lumière de la Chekhina. Une question paraît néanmoins tout à fait légitime : l’âme, elle-même divine, ne pourrait-elle pas remplir ce rôle ? Pourquoi donc recourir aux bonnes actions ?
מבואר ומובן לכל משכיל
« Le sens de cette image », pour reprendre les termes du début de la phrase de Rabbi Chnéour Zalman, est clair et compréhensible pour toute personne intelligente.
Voici, en substance, ce qui va être expliqué : l’âme d’un homme, fut-il un juste parfait, qui sert D.ieu avec la forme la plus haute de crainte et d’amour, ne saurait être complètement effacée devant Lui pour se fondre dans la lumière divine. En effet, la séparation est inhérente à la notion même de sentiments, lesquels présupposent deux entités distinctes : l’une qui aime (ou qui craint) et l’autre qui est aimée (ou crainte). Seules les bonnes actions, les mitsvot, qui ne font qu’un avec le Divin, peuvent donc servir d’huile pour la lumière de la Chekhina qui brille au dessus du juif. Dans les termes du Tanya :
כי הנה נשמת האדם אפילו הוא צדיק גמור עובד ה׳ ביראה ואהבה בתענוגים
Car l’âme de l’homme, même s’il est un juste parfait (tsaddik gamour), qui sert D.ieu avec crainte et « amour dans les délices », forme la plus sublime d’amour, où le délice de la perception du Divin se trouve ressenti,
אעפ״כ אינה בטילה במציאות לגמרי ליבטל וליכלל באור ה׳ ממש להיות לאחדים ומיוחדים ביחוד גמור
néanmoins, [son âme] n’est pas complètement annulée dans son existence pour être véritablement annulée et absorbée dans la lumière de D.ieu [de manière à] être unie et unifiée [avec elle] dans une unité parfaite.
רק הוא דבר בפני עצמו ירא ה׳ ואוהבו
Plutôt, elle est une entité en soi, qui craint D.ieu et qui L’aime. Dès lors qu’elle ne s’efface pas dans la lumière divine à la manière de l’huile consumée par la flamme, l’âme ne peut servir d’huile pour la lumière de la Chekhina.
מה שאין כן המצות ומעשים טובים שהן רצונו ית׳
En revanche, les mitsvot et les bonnes actions sont la Volonté [de D.ieu], c’est Sa Volonté que le juif accomplisse la mitsva.
ורצונו ית׳ הוא מקור החיים לכל העולמות והברואים
Or, Sa volonté, Béni Soit-Il, est la source de la vie pour tous les mondes et [tous] les êtres créés, ceux-ci ne vivent qu’en vertu de la volonté de D.ieu de leur donner vie.
שיורד אליהם על ידי צמצומים רבים והסתר פנים של רצון העליון ב״ה וירידת המדרגות
La différence entre la Volonté divine exprimée dans les mitsvot et la même Volonté telle qu’elle s’exprime dans la création est que dans ce dernier cas, [la Volonté divine] descend à eux au moyen de nombreuses contractions (tsimtsoumim) et [au moyen de] la dissimulation de la Face c’est-à-dire de la dimension intérieure, profonde, de la Volonté suprême et seule la dimension extérieure, superficielle, de la Volonté divine se manifeste dans la création, et cela même par une descente de niveaux,
עד שיוכלו להתהוות ולהבראות יש מאין ודבר נפרד בפני עצמו
jusqu’à ce que [les mondes et les créatures] puissent venir à l’être et être créés ex nihilo et [en tant qu’]entité distincte en soi,
ולא יבטלו במציאות כנזכר לעיל
et qu’ils ne soient pas annulés dans leur existence, comme expliqué plus haut aux Chapitres vingt et un et vingt-deux.